L’air était si froid, je le voyais geler chaque feuille, chaque branche, chaque être qui m’entourais, chaque forme de vie se voyait voler sa chaleur et même la pierre autour de moi se couvrait de givre. Je pouvais entendre une mélodie au loin, triste et lancinante, mais je ne distinguais pas les paroles de l’homme qui chantais. Je sais qu’un homme chante, je le ressens, mais sa voix est si loin… Le givre se rapproche, la glace va bientôt me tenir prisonnière, je le sens. Je dois m’enfuir, je suis un être de feu, je dois partir! Mais où? Le seul refuge… Il n’y a pas de refuge. J’entends la terre craquer sous la pression de l’eau qui gonfle en se cristallisant, je vois l’écorce des arbres se transformer en visage suppliant une délivrance, mais ils se figent tous dans une expression de douleur avant que la chaleur salvatrice arrive. La voix de l’homme se fait urgente, son chant sans parole hurle la fuite, il hurle le besoin de courir, peu importe la direction! Mes jambes, malgré moi, obéissent à cet ordre et dans de grands bonds, je passe par-dessus la roche givrée, la mousse craquante et les branches s’accrochent dans mes cheveux, laissant des traces de brûlures partout où mon corps touche le sol, et mes cheveux dans les branches se transforment en fils de flamme. Je suis un être de feu… Et je dois fuir le froid. Pourtant, le froid ne me fait pas mal, je ne le sens pas, il existe au même titre que j’existe, dans une dimension opposée à la mienne. La différence, c’est que je suis toute seule, et le froid ne cesse de croître. Alors je cours…
Le bruit d’un cri d’enfant me réveille, non pas en sursaut, mais comme si tout était normal. En fait, tout est normal. Le rêve du froid et du feu, le cri des enfants, la sensations de mes draps rugueux contre ma peau, puis les bruits matinaux parviennent à mes oreilles. Nana qui court après le jeune Pietro, mon jeune demi-frère, les femmes qui cuisinent en parlant de tout et de rien, un petit groupe de jeune qui viennent de se jeter à l’eau dans un grand bruit de gerbe d’eau, les hommes et leurs rires graves… Il n’y a que moi qui fait la paresseuse, encore. De toutes façons, personne ne veut de moi dans les tâches matinales. Je suis une incapable accomplie dans tout ce qui a trait aux tâches ancestrales. Mes mains sont trop fines, trop frêles, j’ai un tempérament trop frivole pour surveiller les enfants. Enfin, ils ont fini par dire que je faisais autant de bêtises qu’eux, ce qui n’est pas tout à fait faux. Mais pourquoi je me casserais la tête à les surveiller, alors que plonger dans l’eau avec eux est tellement plus amusant! D’ailleurs, c’est ce que j’ai envie de faire. D’un grand geste, le drap qui recouvrait mon corps a moitié nu se retrouve en boule de l’autre côté du lit et je ne prends qu’une jupe légère et un haut rouge. Je ne porte presque que du rouge, je dois entretenir l’imagine de femme des flammes. Avant de fermer la porte de ma chambre, je jette un coup d’œil à ce qui est ma vie.
Un petit lit, des draps en boules, mes accessoires de danse… Danse. Danse des flammes, avec un grand bâton, un diabolo, mes poï de feu, un éventail, des baguettes… J’ai un véritable arsenal. Un sourire en pensant aux souvenirs associés à chaque et me voici dehors, derrière ma péniche, sautant dans l’eau à l’abris des regards. Je suis pudique quand il s’agit de ma transformation. Ce n’est rien, qu’un léger chatouillement, mais il reste que c’est un moment sacré pour moi. Le moment où je suis humaine, le moment où je suis ondine. Le moment où je suis comme eux, le moment où je suis celle qu’ils craignent. Peu importe, je suis moi, je sais qu’ils ne me craignent pas vraiment, qu’ils ont simplement peur que j’utilise un genre de magie pour leur jeter un mauvais sort. Je les comprends, jeter un sort est si facile… J’ai déjà vu une femme blessée par un mari qui la cocufiait jeter un sort entre ses dents, un sort sifflant et rempli de rage… Et la péniche de l’homme brûla le lendemain soir. Certains disent avoir vu un esprit habillé de noir allumer le petit bateau, et à chaque fois que l’histoire est mentionnée, ils embrassent leurs charmes qu’ils portent autour de leur cou. Mais le temps n’est pas aux histoires d’horreur, il est à la baignade. Mes jambes ont disparues, remplacées par une queue de poisson bien plus longue et plus épaisse. Je plonge dans l’eau et une membrane recouvre mes yeux, comme celle des grenouilles. Je vois parfaitement les petites jambes qui battent la surface, le dessous des péniches, les hameçons qui pendent de part et d’autres des péniches en périphérie et je sens que je vais m’amuser. Je me rapproche des petits garnements qui barbotent, surement sous l’œil vigilant de Nana qui doit les regarder d’un ponton, un petit Pietro dans les jupes. Assez vieux pour savoir nager, pas assez pour aller rejoindre le groupe qui batifole. Je repère la plus grande paire de jambe, sachant qu’elles appartiennent à un autre demi-frère et dans une accélération digne des dauphins que l’on croise sur les côtes, je me précipite dessus et les prends dans mes bras, les empêchant de bouger et mon corps sort de l’eau complètement, ou presque. J’entends des cris de stupeur de part et d’autre de moi, mais ce que je préfère entendre c’est le rire de Sebastiàn, le plus beau petit garçon du monde.
Alors que je retombe dans une gerbe d’eau gigantesque, mon rire se joint au sien et il pince son nez alors que je l’entraîne sous l’eau. Pas longtemps, je sais bien que les humains n’ont pas le don de respirer sous l’eau comme moi, mais assez pour qu’il puisse ouvrir les yeux et observer le flou des coques en contrejour, les rayons de soleil pénétrant dans l’eau et créant des motifs sur ma queue rubis qui ondule lentement. Remontant à la surface, je laisse à mon petit frère le temps de reprendre sa respiration et je le couvre de bisous léger comme des ailles de papillons, goûtant l’eau et le soleil sur sa peau. Le contraire de mon rêve, qui me traîne encore un peu en tête. Il est récurrent, je le fais trop souvent ces temps-ci. Moi qui me sauve du froid, mes pas qui laissent des traces calcinés, mes cheveux de feu… Je ne suis qu’une ondine rouge, je n’ai rien à faire avec le feu, à part la danse. Je sais que sans la danse, les gitans m’auraient laisser tomber depuis longtemps, mais ce n’est pas un moyen de subsistance pour moi, c’est un moyen de vivre, tout simplement. Certains diront qu’une ondine gitane qui joue avec le feu, c’est complètement dérangé, mais je réponds que je suis une ondine et que s’ils m’insultent encore, j’allais faire en sorte qu’il le regrette. Ma race n’est pas connue pour son joli gentil caractère, et moi encore moins. Ceux qui me connaissent savent bien que je ne suis pas méchante, simplement que je suis une tête forte. Tu crois que j’ai un problème? Hein? HEIN?? Mais non, je rigole voyons. Je dois me préparer aujourd’hui, on descend à terre dans un petit village habituel. Je connais la routine, et il est déjà tard, je dois être prête au plus vite. En fait, je dois préparer quelques mélanges d’encens, je dois préparer mon maquillage et mes accessoires. Ce soir, c’est la danse des éventails, une que je n’ai jamais fait à cet endroit. Ils ont vu les poïs, ces chaînes de métal relié à deux petites balles de tissus en feu, le bâton de feu, mais pas encore les éventails. J’ai hâte de leur montrer, cette danse a un quelque chose de plus subtil, de plus artistique que simplement impressionnant. C’est une danse douce comme une brise, fluide comme un ruisseau et caressante comme du velours. De quelques coups de queue, je rejoins ma petite péniche en périphérie de la masse et monte dessus d’un puissant mouvement. En quelques instants, mes jambes reviennent et mon haut couvre jusqu’à ma mi-cuisse, révélant mes grandes jambes bronzées.
Je n’ai pas d’autres choix que de m’enfermer dans ma cabine avec mes encens, je crée des substances relaxantes et légèrement hallucinogènes, mais à peine. J’ai l’expérience de centaines et de centaines de spectacles derrière moi, je sais quel dosage prendre pour être plus impressionnante aux yeux des spectateurs sans qu’ils deviennent fou. Je me sens un peu sorcière, un peu magicienne, un peu alchimiste, je me prends pour une autre personne, je suis la créatrice de l’encens. Je me lève et commence à chanter à haute voix en dansant autour de ma table de travail, tout en créant des encens pour le spectacle de ce soir.
- Le feu brûlera ce soir
Les gens verront ce soir
Les gens goûteront ce soir
Au feu de la femme des flammes
J’exécute quelques mouvements gracieux, tournant autour de la table, ondulant et levant les bras, les laissant tomber dans des mouvements dramatiques, ajustant mes mixtures au fur et à mesure que je chante ce que l’inspiration du moment me dicte de chanter.
- Peu importe le feu des dragons
Peu importe la lave des volcans
Peu importe la chaleur du soleil
La femme des flammes danse ce soir
Je respire légèrement la préparation que j’ai fait qui est la plus proche de moi et d’une grimace de dégoût, je réajuste ce qui avait beaucoup trop de charbon. La fumée n’est pas le plus important, ce qu’il faut, c’est un peu de ce mélange d’herbe que Nana m’a montré à faire… De ce que les anciens racontent, pour une humaine, elle a fait fureur ma Nana. C’était une des plus belle artiste de sa génération, mais après qu’elle aie trouvé l’amour, elle s’est consacré à sa famille, peu importe son amour pour le chant et la danse.
- La femme des flammes
La belle l’unique
La seule
La si seule…
Je rajoute un petit mélange de fleur séchée pour une odeur plus agréable et hume une dernière fois, avant de compacter dans un petit récipient et de le transférer dans l’encensoir qui sera déposé dans les torches qui brûleront dans l’auberge. (À suivre dans de prochains jours)